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LUCIEN
DESCAVES
Non loin de la prison de la Santé, dans ce quarlier de
l'Observatoire où il est né, où il a
vécu presque constamment jusqu'ici, Lucien Descaves habite
une petite maison, précédée d'un
jardinet, très simple et modeste comme lui.
Un grand arbre pousse ses rameaux jusque devant les fenêtres
du cabinet de travail, au premier étage; et de ce coin
paisible, on n'entend que le grondement très lointain et
très assourdi du Paris fiévreux, le chant de
quelque oiseau dont le nid se cache dans les feuilles, et parfois les
cris joyeux des enfants du maître écrivain, qui
s'ébattent dans le petit jardin à leur retour du
collège.
Le cabinet de travail est lui-même sans prétention
: quelques jolis meubles en bois sculpté, de belles gravures
ou lithographies, beaucoup de livres dans les rayons couvrant les murs,
et, devant la fenêtre, le pupitre-chevalet, où
Lucien Descaves écrit debout, quand il ne se
promène pas de long en large, triturant la
matière d'un chapitre, d'une scène ou d'une
chronique.
La physionomie de l'homme correspond exactement à celle du
cadre : de taille moyenne, vêtu simplement, avec un visage
aux traits énergiques tempérés par la
douceur du regard, Lucien Descaves apparaît comme le
véritable « ouvrier » de lettres, celui
dont parle La Bruyère, celui qui sait écrire de
ces ouvrages dont la lecture « élève
l'esprit », c'est-à-dire nous affranchit de
l'égoïsme et nous fait concevoir des
pensées universelles et des sentiments
désintéressés.
C'est qu'en effet il ne ressemble en rien à ces
littérateurs snobs, experts dans l'art de faire valoir dans
les salons leurs proses fades ou leurs vers ampoulés, ni
à ces littérateurs commerçants, plus
experts encore dans l'art de faire fructifier à leur profit
les œuvres d'autrui, achetées au rabais et
signées de leur nom. Il travaille beaucoup, à
toute heure de la journée, n'écrit jamais pour ne
rien dire, ne saurait sacrifier ses idées à ses
intérêts, et, quoi qu'on ait pu dire à
propos de Sous-Offs, n'a jamais cherché le scandale pour se
tailler une réclame et gagner beaucoup d'argent :
probité et sincérité dans sa vie comme
dans son œuvre, telles sont ses qualités
essentielles.
Ce qui frappe d'ailleurs, quand on l'aborde pour la première
fois, c'est la franchise de sa poignée de main et celle de
sa parole.
Chez lui, pas le moindre désir de parader et de pontifier;
il ignore la pose, même chez les photographes, au point qu'il
est très difficile de se procurer sa photographie; les
portraits de lui que nous reproduisons ici sont presque tous dus
à des amateurs, à des amis, qui ont pu, par
hasard, braquer sur lui leur objectif.
Le premier a été dessiné et
gravé par son père, qui fut un artiste de grand
talent et un homme d'intelligence fort ouverte, puisqu'il fut le
premier à encourager les débuts
littéraires de son fils; (...) suite
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